Une note de lecture de Dominique Boudou
sur le livre
Le veilleur
de Salah Al Hamdani
Éditions du Cygne, Paris, 2019
La poésie vit d’insomnie perpétuelle. René Char
L’exil est une espèce de longue insomnie, écrit Victor Hugo. Les mots manquent pour la définir vraiment, comme ils manquent pour définir vraiment l’exil.
Mais Salah Al Hamdani est un veilleur qui, depuis quarante ans, ne renonce jamais à écrire dans son grand livre des questions, "loin des poètes frivoles de salon". Une seule certitude apparaît dans le foisonnement des figures de l’exilé : l’obsession.
"Acheminer la mémoire vers l’oubli" n’est pas viable quand se confondent en un lointain indéfinissable le visage de la mère morte et celui de l’enfant qui résiste à l’usure de son rêve.
L’exil [irrigue la chair du récit] de "ciels amputés", de "matins mélancoliques" de de "chevaux exténués" pour dire l’insoutenable des corps torturés, des corps massacrés et même (l’horizon est un cercueil].
La poésie de Salah Al Hamdani dans Le veilleur, elle-même insomniaque*, combat sa propre impuissance pour continuer à témoigner de façon "offensive". "Reconstruire le matin disloqué dans l’abîme" n’est pas ici une beauté du style mais une volonté à l’épreuve de ce qui hante.
Jeune soldat sous la dictature de Saddam Hussein, Salah Al Hamdani refusa de tirer sur des enfants kurdes et endura la torture dans les geôles de Bagdad. Alors que de nouvelles ténèbres menacent la paix et la liberté partout dans le monde, le cri du veilleur résiste au désenchantement. Même si [l’espoir donne froid comme au pauvre].
Le lecteur ému imagine que [la lune n’est plus si loin derrière le verger]. Le visage invoqué encore et encore ne sombrera pas sous les fracas de la guerre mais quel est-il au juste ? Comment le nommer dans l’innommable ? Comment, le temps ayant passé tout en se figeant, le rapprocher de soi ? Mais, clin d’œil à René Char, ne questionnons pas ce lecteur ému. Il devine que le veilleur veillera jusqu’à son dernier souffle pour dire non, à hauteur d’homme, à toutes les avanies. Et la mouette du recueil, entendant ce refus, trouvera la force de nous revenir.
Extraits :
Tout va si vite
Ne te retourne pas
Le ciel s’étend
Le vent dans la neige repeint les arbres
Une traînée de verre
et c’est un corps qui chute déjà
dans les ruelles de l’enfance
avec l’odeur de l’hiver moite !
*
Dans mon questionnement sur l’absence
que reste-t-il de nos morts ?
J’ai eu à conduire des jours boiteux
frappés du sceau du vent
La fenêtre, dans la nuit
la mort de ta mère dans la voix
ainsi que ton silence
qui n’efface pas la froideur du monde
***************
Le veilleur de Salah Al Hamdani est publié aux éditions du Cygne
(en lien sur ce blog) avec une peinture de Jean-Julien Martin en couverture. Il coûte 10 euros.
Dominique Boudou
Vendredi 6 septembre 2019
*******************************
Salah Al Hamdani, Le Balayeur du désert
Par Dominique Boudou
Salah al Hamdani revient vers nous avec Le Balayeur du désert, publié aux toutes nouvelles éditions Bruno Doucey. Des poèmes traduits de l’’arabe et d'autres écrits en français.
L’auteur évoque de nouveau l’épouvantable régime de Saddam Hussein qui a laissé en lui une plaie béante. " Tenez, voici les charniers de Saddam et en prime les os des camarades et leurs crânes en vrac dans un ballot". Et il ajoute : " Je ne sais ce qui perdure. " C’est que Salah Al Hamdani sent dans son corps et dans son encre une autre prison, celle de l’exil lui-même. " Captif de mon exil", "Piégé dans mon exil", écrit-il cependant que " la lune oubliée flotte à la surface du fleuve " ou qu’on [l’assassine dans un lavoir].
Il y a dans cette dernière livraison une émotion qui foudroie le lecteur, tout à la fois prise au souffle des mirages sur le fleuve et dans le halètement des chevaux fourbus de silence. Il y a, même après la mort du tyran, les rêves éperdus de la mère restée avec la guerre et ses petits sacs de vie remplis de tickets de rationnement. Il y a, aussi, le possédé qui résiste encore à ses geôliers, l’enfance qui n’abdique pas et veut "regarder la lune se tromper de chemin" car " il faut être comme Lorca le plus grand des poètes" pour combattre les assassins en pleine lumière.
Les poèmes en arabe ont été traduits par l’auteur et Isabelle Lagny, elle-même poète.